Par Marie-Line Mouriesse – 7 mars 2020
La pandémie de Coronavirus pourrait être un facteur modifiant les anciens équilibres mondiaux ; J’appelle ici « Effet chauve-souris » », un facteur imprévisible, d’origine naturelle, qui oblige les logiques économiques à prendre en compte le facteur humain et sa vulnérabilité (ici une crise sanitaire) et qui induit des pertes financières inévitables nécessaires pour l’ intérêt général mondial. Une logique qui remet l’homme à sa place dans l’écosystème mondial.
Une pandémie
Que l’épidémie de Coronavirus soit devenue une pandémie aujourd’hui, on ne peut plus en douter. La mondialisation du virus n’est plus à démontrer, 95 pays et territoires sont maintenant concernés. Le tableau ci-dessous est destiné à convaincre les plus dubitatifs. Le virus est désormais présent sur tous les continents, même les petites îles ne sont pas épargnées car elles sont le théâtre de la mondialisation via la croisière : les Antilles, les Maldives maintenant sont touchées. Il faut prévoir la contagion inévitable qui pourrait amplifier les chiffres. Aujourd’hui la difficulté de dépistage (de nombreuses personnes déclarées négatives au test se sont révélées atteintes parfois quelques jours plus tard comme cela a été le cas au Japon) facilite la propagation du virus et laisse supposer une aggravation du nombre de cas au moins dans le mois qui vient. Notez la difficulté de réaliser ce tableau les chiffres augmentant d’heure en heure. Ce tableau est juste destiné à tenter de réaliser un état des lieux de l’épidémie mondiale et destiné à mesurer la progression ou l’infléchissement de la pandémie. Il révèle la situation du 7 mars 2020.
Dans le tableau ci-dessous les régions et pays ont été classés par zone géographique (ex. Martinique en Amérique et non en Europe).
Continent |
| nombre de cas présumés | nombre de décès déclarés 7 mars 2020 |
Europe | France | 1000 | 16 |
| Allemagne | 834 |
|
| Italie | 5823 | 233 |
| Espagne | 401 | 8 |
| Portugal | 9 ( + 117 suspects) |
|
| Malte | 1 |
|
| Belgique | 169 |
|
| Pays-Bas | +100 | 1 |
| Suisse | 214 | 1 |
| Grèce | 31 |
|
| Autriche | 2 |
|
| Royaume-Uni | 164 | 2 |
| Norvège | 108 |
|
Asie | Chine | 80 573 | 3070 |
| Japon | 553 à 1000 | 12 |
| Corée du sud | 6767 | 44 |
| Thailande | 2 |
|
| Singapour | 130 |
|
| Philippines | 3 | 1 |
| Hong-Kong | 107 | 2 |
| Taiwan |
| 1 |
| Maldives | 2 |
|
Moyen- et Proche Orient | Iran | 4747 | 145 |
| Irak | 5 | 2 |
| Koweit | 58 |
|
Afrique | Egypte | 15 |
|
| Algérie | 17 |
|
Amérique et Antilles | USA | 338 | 2 |
| Canada | 1 |
|
| Brésil | 433 |
|
| Guyane | 5 |
|
| Martinique | 2 |
|
| Guadeloupe | 0 |
|
| Saint Martin, Saint Barthelemy | 3 |
|
Océanie | Australie | 63 | 2 |
La mondialisation facilite la propagation du virus
La globalisation, que l’on pourrait résumer comme étant le système capitaliste de maximisation des profits, réalisé en minimisant le coût de main d’oeuvre, qui entraîne par conséquent des flux intenses à travers le monde : flux de matières premières, d’information, de pièces détachées, de capitaux…mais aussi des concentrations de main d’oeuvre dans des zones-atelier, est aujourd’hui en train de connaître une crise qui l’oblige à s’adapter à un évènement conjoncturel. La mondialisation est d’une manière plus générale l’accélération des flux liés à la globalisation économique, à la révolution des transports. et à la révolution numérique accroît le risque de propagation des virus.
Quel sont les effets déjà palpables de la pandémie sur les économies et les sociétés ? En quoi la crise pourrait obliger les économies mondiales à … des mutations ?
Chute des cours de la bourse
Qu’est-ce que l’on peut constater depuis janvier ? D’abord un affolement du secteur bancaire et des marchés financiers. Le Cac 40 est à – 4, 14 %.
De nombreuses sociétés ont été mises en liquidation.
Le journal Boursorama du 7 mars explique que « la crise du Covid-19 a d’abord affecté les valeurs très liées à la consommation chinoise. Les actions dans le secteur du luxe comme Kering ou LVMH, du transport aérien ou du tourisme (Air France-KLM, Accor) voient rouge. Les groupes qui possèdent des usines dans la région de Wuhan (épicentre de l’épidémie), à l’instar de Seb ou PSA, voient également leur valeur sanctionnée par les marchés. Après un moment de résilience, les marchés ont eux aussi subi la propagation du virus. Au 6 mars, le Dow Jones perdait 13,5% sur un mois glissant, le CAC 40 plus de 15%. » ( Source : https://www.boursorama.com/tag/coronavirus-bourse) De manière générale la plupart des actions liées à la production ou au commerce avec la Chine sont en chute.
L’affaiblissement de la croissance chinoise et ralentissement de la production industrielle
La mondialisation du Coronavirus a provoqué l’affaiblissement de la croissance chinoise. La croissance mondiale, c’est à 40 % une croissance chinoise. La Chine représente aujourd’hui 20 % du PIB mondial; Quelles seraient les conséquences sur la croissance ? On peut prévoir une baisse de cette croissance cette année. Ceci doit être mis en lien avec le ralentissement de la production industrielle à cause des délocalisations. Samsung avait fermé ses usines de Chine dès 2019 et avait installé ses usines au Viêt-Nam. Mais si le Viêt-Nam était également touché, c’est le modèle économique des zones-atelier qu’il faudrait repenser.
Délocaliser la production dans des usines localisées principalement en Asie (Chine, Viêt-Nam, Indonésie, Sri Lanka, Philippines etc…) et tuant par conséquent l’emploi ouvrier dans les pays développés, cette politique néolibérale voit ici sa limite : en cas de crise sanitaire asiatique , la production ralentit voire est stoppée en cas de pandémie sévère ; Pour assurer la continuité de la production, la désindustrialisation des pays développés apparaît ici au grand jour comme un facteur de vulnérabilité du système productif.
Diminution du trafic aérien
Autre effet de la propagation du virus dans le monde : la diminution du trafic aérien, de la croisière et une diminution des flux touristiques. La Chine a été la première à devoir limiter son trafic aérien. On peut prévoir une baisse générale du trafic aérien dans les prochains mois et une baisse des croisiéristes; Par ailleurs les sociétés qui organisent l’accueil des touristes, l’hôtellerie et la restauration et même Airbnb pourraient être sérieusement impactées.
Ce mois-ci, en mars, la société Airbnb a déjà du repoussé son introduction en bourse à cause du Coronavirus. (Source : https://www.businessinsider.fr/airbnb-pourrait-repousser-son-introduction-en-bourse-a-cause-du-coronavirus/)
Selon RFI, « pour lutter contre la propagation de la maladie, de nombreuses compagnies ont réduit leurs échanges avec la Chine. : Air France, Delta, British Airways et une cinquantaine d’autres compagnies ont même annulé toute liaison avec le pays depuis fin janvier. » On évalue déjà à quatre à cinq milliards de dollars de pertes , c’est ce qu’aurait coûté le coronavirus aux compagnies aériennes depuis le début de l’épidémie en décembre, à cause de la diminution du nombre de touristes chinois. .
Ralentissement du secteur touristique
-On peut donc s’attendre à un ralentissement voire une crise du secteur touristique qui probablement ne pourra que s’intensifier pour des raisons de sécurité sanitaire mondiale . Le gouvernement chinois a suspendu les voyages organisés et déconseillé à ses ressortissants de partir à l’étranger; Jusque là le tourisme des chinois augmentait de 15 % environ par an et représentaient 2 millions de touristes à eux seuls et 4 milliards d’euros dépensés en France. Au total ils étaient 149 millions à voyager à l’étranger de manière globale. Cela était lié à l’émergence d’une classe moyenne chinoise qui souhaitait découvrir le monde. Aujourd’hui ce tourisme est paralysé à cause du Coronavirus.
Parmi les « usines à virus », les paquebots de croisière apparaisent être de véritable tête de pont. Les bâteaux de croisière dont l’air conditionné n’est pas filtré contre les virus et bactéries, comme le sont les avions toutes les 4 minutes, sont des milieux propices à la propagation des virus. Maintenant , la croisière ne s’amuse plus, mais diffuse.
D’abord au Japon, avec le paquebot le Diamond Princess dès le 5 février avec 855 passagers infectés. Mais ce n’est pas tout, en Egypte le personnel d’un bateau de croisière sur le Nil a été également infecté. Aux Antilles, le 27 février, Le paquebot Costa Magica suspecté de cas de coronavirus avait été empêché d’accoster à Sainte-Lucie, a débarqué finalement des passagers en Martinique où des ressortissants italiens ont pris l’avion pour Milan. Rien dans la presse internationale à ce sujet. L’information aux Antilles semble être diluée dans les eaux sombres de l’Atlantique et de la Caraïbe.
Aux USA, le 7 mars, encore un bâteau de croisière, le Grand Princess qui devait arriver à San Francisco au large de la Californie enregistre 21 nouvelles personnes testées positives au coronavirus.
Parmi les « Usines à virus », les écoles sont en bonne place. A cause du Coronavirus 300 millions d’enfants seraient sans école dans le monde.
Vulnérabilité des espaces insulaires très exposés au tourisme de croisière.
Les espaces insulaires, fortement dépendants des flux touristiques, comme nos territoires d’outre-mer, se retrouvent exposés aussi au danger de pandémie à cause de la croisière, en pleine saison en ce moment. Le MSC Préciosa est prévu aujourd’hui, Le Champlain, demain le 8 mars, le Koningsdam, le Costa Magica le 12 mars, le même jour le Sirena, le 13 mars, le Costa Favolosa, le 14 mars à nouveau MSC Préciosa, le 19 mars, à nouveau le Costa Magica. Les croisières qui sont autant d’opportunités touristiques en temps normal, deviennent un véritable danger pour une petite île comme la nôtre. Chaque paquebot est un afflux important de touristes étrangers et de membres de l’équipage, prenons l’exemple du Costa Magica qui peut transporter 3470 passagers et 1027 membres de l’équipage, il représentent autant de risques de transmisssion du coronavirus dans des espaces réduits où les hôpitaux publics souffrent depuis longtemps du désengagement de l’Etat et des politiques néolibérales qui veulent détruire les services publics au profit des systèmes privés. Un désert médical programmé qui n’a pas envisagé les conséquences probables en cas de crise sanitaire grave.
Fermeture des frontières
Autre effet de la pandémie de coronavirus la fermeture partielle des frontières. On assiste en effet à des mesures s’apparentant à des fermetures partielles des frontières alors qu’on est au début de l’épidémie.Singapour a fermé ses frontières à tous les voyageurs venant de Chine. le Pakistan a également suspendu les vols directs venant de Chine. la Mongolie a fermé ses frontières aux populations chinoises. Les frontières terrestres de l’Iran ont été fermées.
Des régions entières mises en quarantaine
En Chine, la grande métropole de Wuhan a été mise en quarantaine. En Italie la Lombardie a été récemment mise en quarantaine.
D’autres états se sont contentés de déconseiller les voyages vers la Chine. On peut prévoir qu’avec l’aggravation de la pandémie les fermetures partielles pourraient muter en fermeture totale.
–
Fermeture des écoles
Après les critiques faites de sa gestion de la crise, le premier ministre japonais Shinzo Abe a pris des mesures plus restrictives comme celle de fermer les écoles. En France les écoles ont été fermées dans l’Oise.
- Annulation de manifestations prévues
- Denombreuses manifestations prévues ont été annulées. Parmi elles, le marathon de Paris qui aurait eu lieu le 5 avril, certains manifestations sportives comme des match de football, certains matches de basket, des concerts ont été annulés créant en France 250 millions d’euros de recettes en moins (Le Parisien http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/concerts-annules-a-cause-du-coronavirus-250-millions-d-euros-de-recettes-en-moins-07-03-2020-8274633.php)
Des pénuries envisageables
Autre conséquence liée à l’effet chauve-souris, le spectre de la possible pénurie de produits pharmaceutiques, principalement produits en Asie d’autant que les principes actifs, les molécules nécessaires à la fabrication du médicament sont massivement produits en Asie. Ainsi, 80% des substances actives utilisées pour des médicaments dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, l’Inde et la Chine concentrant à elles seules 60% des sites.
L’industrie pharmaceutique est à la recherche d’un vaccin . Eh hop : 10 millions d’euros ont déjà été distribués à la recherche dans cet objectif en France. Alors que tous pointaient du doigt la crise des urgences, la politique d’austérité budgétaire de ce service fondamental de santé publique qu’est l’hôpital public. Fermetures de lits, de services ou d’hôpitaux. malgré l’exaspération générale, on faisait fi de la volonté du peuple français de conserver un système public en bon état. .On comprend mieux aujourd’hui, dans ce contexte de pandémie, que tout miser sur le privé ne permet pas de faire face à un tel défi sanitaire et qu’ il vaudrait mieux envisager des logiques collectives plutôt qu’individuelles et individualistes dans cette conjoncture.
Développement de la contrebande et activité des « profiteurs de pandémie »
Parmi les effets de la mondialisation du covid-19,, on a pu assister à la flambée de la contrebande de masques (bavettes) et à l’augmentation de leur prix ainsi que celui des gels hydroalcooliques, comme en Algérie. En France, le prix des masques et des gels hydroalcooliques ont doublé parfois triplé. Dans certaines pharmacies, on affiche une rupture de stock.
Aujourd’hui on devra-t-on redécouvrir les vertus des circuits courts, de l’agriculture de proximité, redécouvrir les vertus du jardin créole, et comprendre que la dépendance à l’extérieur vulnérabilise nos sociétés antillaises. Peut-être penserons-nous à redécouvrir la polyculture, peut-être réaliserons-nous l’importance de produire nos propres médicaments, peut-être envisagerons-nous d’avoir une petite industrie pharmaceutique locale ? Dans tous les cas la dépendance extérieure nous fragilise.
Toujours est-il que ces fermetures des frontières, ces villes à l’arrêt, si elles correspondent à une catastrophe humanitaire, pourraient bien donner un peu répit à la planète . En Chine Xi Jinping a interdit la vente et le commerce d’animaux sauvages le 24 février 2020; Jusque là pour des raisons financières, ce commerce avait été maintenu car il était évalué à 15 milliards de dollars par an. (Source : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/le-coronavirus-fait-du-bien-a-la-faune-sauvage_141869)
On pourrait aller plus loin et faire de la prospective,
les grandes métropoles mondiales, où les concentrations humaines sont importantes, où le tourisme est un secteur qui génère des flux de personnes importants risqueraient d’être particulièrement touchées par la pandémie.
Qui paiera la facture de la crise ? L’argent public sera-t-il encore distribué aux intérêts privés sans compensation ?
Ou va-t-on enfin cesser de cautionner un système qui fonctionne que de manière unilatérale, qui mutualise les risques et se réserve les profits ?
Quelles seront les conséquences de l’effet chauve-souris dans quelques mois ? Cette crise verra-t-elle émerger de nouveaux modèles de société plus respectueux de la planète ? Ces temps de crise sanitaire conduiront-ils à s’interroger sur nos modes de production et notre relation à la nature ? Permettra-t-elle de comprendre l’utilité et la nécessité de maintenir des services publics qui protègent nos collectivités des logiques financières qui elles ne cultivent que les eaux glacées du calcul égoïste ?