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Oui, les virus peuvent détruire une civilisation. Pourquoi l’avons-nous oublié ?


Une épidémie peut durer deux ans, comme dans le cas de la peste de Marseille et de la grippe espagnole, cinq ans comme dans la peste noire, et parfois plus d’une décennie, comme dans le cas du SIDA.
Aujourd’hui, si les autorités prennent les décisions de protection des populations, on peut espérer raccourcir ce délai, mais on peut s’interroger sur la capacité des services de santé déjà très affaiblis par les coupes budgétaires des politiques néolibérales successives à faire face à cette menace. Ce qui est certain, c’est qu’une pandémie qui est mal gérée peut conduire à l’effondrement d’une civilisation, d’un système, peut être de l’Union europénne ?

Par Marie-Line Mouriesse – Lire son blog

Les navires sont des acteurs majeurs dans la propagation des virus.

Les navires sont des espaces de diffusion des virus.
En dehors du scorbut qui touchait les personnes qui n’avaient pas suffisamment de vitamine C (apport en produits frais) pendant 70 jours environ, les navires sont connus dès l’Antiquité, pour être des propagateurs de maladies.

Le masque de peste était porté par les médecins appelés à soigner les pestiférés…

La peste Noire

La peste Noire (1347-1352) au XIVème siècle, va décimer les populations dans le monde.. En réalité elle a continué à se disperser pendant 8 ans. Son origine est la puce du rat, provenant probablement de l’Asie Centrale. Mais une fois que l’on avait la maladie, on la diffusait via les postillons. Elle arrive en Europe, par des navires italiens., les marins avaient été contaminés lors du siège de Caffa sur la Mer Noire. Dès les premiers symptômes, on mourait en 4 jours. La maladie se remarquait par des bubons noirs (d’où son nom « peste bubonique » ou peste noire, qui sont des ganglions noirs sous les aisselles et dans la région inguinale (aine). La maladie commençait comme une grippe avec de violents maux de tête, fièvre, une gfrande fatigue et des poussées délirantes, et finissait en maladie respiratoire où l’on crachait du sang (peste pulmonaire).

Danse macabre du cloître des Saints-Innocents  à Paris.

Durant leurs escales, à Constantinople, à Messine, en Sicile, les marins propagent l’épidémie, qui se développe en Afrique du Nord puis en Europe du Sud sans savoir qu’ils sont atteints.
On estime entre 75 et 200 millions de victimes, 30 à 50 % des Européens ont disparu durant cette pandémie. Une figure artistique se développe , les « Danses macabres », qui mêlent les vivants et les morts, rappellent que la mort ne fait pas de distinctions sociales.

La peste de Marseille

Quatre siècles plus tard, au XVIIIème siècle, la peste de Marseille Cette peste tardive (1720-1722), arrive en Europe par un navire avec le Grand-Saint-Antoine, un bateau en provenance de la région de la Syrie, plein de ballots de tissus en soie qui accoste le 25 mai à Marseille. Il y avait eu 8 ou 9 morts à bord durant le voyage. On sait maintenant que le journal de bord du capitaine Jean-Baptiste Chataud avait été falsifié, sans doute par un des marchands ayant intérêt à vendre cette marchandise ; Capitaine qui s’est défendu d’être l’auteur de la falsification. Le navire qu’il gouvernait aurait dû aller directement en quarantaine à l’île Jarre située à 15 km de la ville. Pour ne pas perdre la cargaison, notamment 700 balles de soie en provenance de Damas, celle-ci est débarquée sur le continent et se retrouve rapidement dans la ville via la contrebande.. Pour réaliser des profits, on a perdu la ville entière. Pour ne pas perdre la somme investie, on a perdu la ville. Entre 30 000 et 40 000 personnes sur 90 000 habitants ont disparu, puis dans toute la Provence, où elle fait entre 90 000 et 120 000 morts sur une population de 400 000 habitants environ.

La peste de Marseille. Tableau de Michel Serre, Musée Atger (Montpellier)

Pour éviter la contagion et sauver la France, le Régent Philippe d’Orléans va empêcher les Marseillais de quitter la ville. Avant cette décision quelques Marseillais avaient fui et contribué à diffuser la maladie en Provence. Mais cette décision aura sans doute sauvé la France. C’est la décision de Xi Jinping, le président chinois, qui mettra trois siècles plus tard en quarantaine Wuhan pour sauver la Chine. C’est celle qui a été prise par l’Italie malheureusement trop tardivement à cause de la fragilité du service public hospitalier et notamment à cause des coupes budgétaires. La France a elle aussi tardé à prendre la décision du confinement. Intérêts économiques en jeu ? Mais quand la bourse a donné des signes d’effondrement à cause du manque de confiance dans la politique macroniste, le discours politique a fait volte-face. Ce confinement a eu cependant le mérite d’être décrété. D’autres pays européens comme les Pays Bas et la Grande-Bretagne ont fait le choix de ne pas confiner les populations. Ce choix pourrait coûter cher en vies humaines.

La grippe espagnole

Des Londoniens portant des masques pour se « préserver » de la grippe espagnole

Plus près de nous, au XXème siècle, à la fin de première guerre mondiale, la grippe espagnole (1918-1920) touche les pays européens. là encore on retrouve le rôle important joué par les navires. Ici, Le Léviathan joue un rôle important, un navire allemand (.Vaterland) qui a été capturé par les Américains va servir au transport des troupes américaines pendant la première guerre mondiale. Il va non seulement contribuer à porter l’épidémie aux USA mais aussi à ramener encore l’épidémie à Brest. Boston va être particulièrement touchée. Les londoniens vont utiliser des masques pour lutter contre la grippe. La grippe espagnole va tuer selon Johnson et Mueller (2002) 80 à 100 millions de personnes au total, plus que la première guerre mondiale n’avait réussi à faire, et plus que ce que la seconde ne parviendra à tuer. Des personnalités ont été concernées. . Freud perdra sa fille de la grippe espagnole après avoir eu peur pendant toute la guerre de perdre ses fils. Le président américain Wilson avait contracté la grippe espagnole pendant son passage à Paris lors du Traité de Versailles en 1919. Roosevelt aussi avait été touché par la grippe espagnole. Parmi les victimes : Guillaume Appolinaire, Frantz Kafka, Edmond Rostand, Max Weber….

La grippe n’est pas venue d’Espagne, mais ce sont les Espagnols, neutres pendant la première guerre qui vont révéler l’épidémie, d’où ce nom. la censure en France et en Allemagne contribuant à minimiser l’ampleur de l’épidémie.
D’autres épidémies contribuent à affaiblir les populations. On estime à 36 millions les morts du SIDA. Le virus Ebola a tué en Afrique plus de 11 000 personnes depuis 2014.

Aujourd’hui au XXIème siècle

Aujourd’hui au XXIème siècle, en 2020, là encore la propagation du coronavirus s’accélère à cause des mobilités et des progrès des transports. Un virus venu d’Asie, comme pour la peste noire. Les navires contribuent aussi ici à la propagation .Le tourisme de croisière qui brasse des populations et qui correspondent à de véritables villes sur l’eau : 2000, parfois 3000 personnes cohabitent sur ces navires et différentes nationalités se côtoient, ce qui a contribué à sa propagation : en Egypte, au Japon, en Italie, aux USA, aux Antilles les malades contractent la maladie sur le bâteau et sont des vecteurs de sa propagation une fois à terre. C’est pour cette raison que les Antilles ont été touchées car c’est la pleine saison de la croisière. Des navires pleins d’italiens suspectés de provenir de la région infectée (nord de l’Italie) comme le Costa Magica et le Costa Favolosa ont été rejetés dans plusieurs îles et erraient notamment dans la baie de Fort-de-France dans l’attente d’un port d’accueil.

La peur fait fuir, et la fuite contribue à la diffusion du virus

On sait aussi grâce à l’histoire des pandémies que la peur fait fuir, et que la fuite provoque des déplacements de population accroissent la diffusion de la pandémie.
Au XIVème siècle pour la peste noire, au XVIIIème pour la peste de Marseille, l’épidémie se diffuse lorsque les personnes fuient les villes infectées pour se réfugier dans les campagnes. Les campagnes sont ainsi touchées à leur tour.

Autre problème vécu dans les cas d’épidémies : que faire des cadavres et comment enterrer les cadavres alors qu’ils sont contagieux ?
La gestion des cadavres devient souvent problématique.
La crainte de la contagion (qui est un vrai risque) rend compliquée la prise en charge des corps. Pendant la peste noire, les cadavres jonchent le sol et la gestion des corps morts pose problème. Les prêtres sont vite submergés et meurent. Souvent les registres sont tenus jusqu’à la mort du prêtre qui les renseigne. ; A Marseille l’enlèvement des cadavres du quartier de la Tourette est réalisé par les galériens de l’Arsenal des galères mobilisés. Ces forçats meurent à leur tour. .. L’augmentation du nombre de cadavres oblige par exemple dans le cas de la peste de Marseille à trouver des lieux d’inhumation, des corps sont enterrés dans les églises, puis des charniers sont creusés.

Les pandémies peuvent affaiblir voire détruire des civilisations.

En envahissant les Amériques (Antilles et continent) les Européens ont apporté la grippe (H1NI), appelée aussi « Influenza »

Les pandémies affaiblissent considérablement les régions touchées. On sait qu’elle peuvent même créer l’effondrement de certaines civilisations. En envahissant les Amériques (Antilles et continent) les Européens ont apporté la grippe (H1NI), appelée aussi « Influenza », il s’agissait d’une grippe porcine à cause des porcs apportés par Christophe Colomb dans la cale de ses navires ; les Européens à cause de leur proximité avec leurs animaux (porcs) étaient immunisés, mais pas les Amérindiens. Ils ont aussi apporté la variole, la rougeole qui décimaient les populations amérindiennes autochtones. C’est ainsi que la Civilisation des Llanos Mojos (Ou Moxos) en Bolivie s’est effondrée. La population avait diminué en raison de l’introduction de maladies européennes, de l’impact de la conquête, des raids esclavagistes espagnols et portugais. La population des Llanos est restée assez stable par la suite jusqu’au 19e siècle, que l’empire Aztèque s’est effondré, que l’Empire Inca, s’est lui aussi effondré. Pour l’Empire Aztèque, que l’on évalue entre 20 millions la population avant l’arrivée de Cortès, ils ne sont plus qu’un million ensuite. Même drame pour l’Empire Inca. Les prétentions européennes qui consistent à affirmer qu’ils ont vaincu les empires amérindiens avec quelques centaines de guerriers se heurte à une réalité. C’est la variole et la rougeole qui ont considérablement affaibli ces populations.

Les crises sanitaires mettent en évidence la nécessité de développer des structures d’accueil des malades. le recrutement de personnels de santé, la recherche médicale, la recherche pharmaceutique sont des armes au même titre que des canons ou des avions. Un système de santé efficace est la condition nécessaire de la survie d’un peuple.

Souvent, au départ de l’épidémie, on remarque que des négligences sont commises à cause de la volonté de « ne pas porter préjudice aux affaires, au commerce » C’est par exemple le cas de la peste de Marseille. Les épidémies nous apprennent que rien n’est plus important que la vie et nous forcent à nous recentrer sur l’essentiel.

Les pandémies meurtrières provoquent souvent la désorganisation voire la destruction des sociétés.

Il faut rappeler que les politiques néolibérales occidentales se sont attaquées aux services publics y compris l’hôpital.
Dans le contexte d’épidémie, la mobilisation massive du corps médical est importante. Comment exiger cette mobilisation alors même que des mise en garde avaient été lancées par l’hôpital pour alerter de la dégration de leurs conditions de travail ? . Il semble complexe d’expliquer aux hôpitaux que l’idéologie néolibérale fabrique la désorganisation des services publics pour mieux en négocier la privatisation. Cette privatisation est d’autant plus difficile à comprendre dans le contexte d’épidémie. Rappelons les danses macabres : les virus ne s’arrêtent pas au XVIème arrondissement. Comment expliquer à des gens altruistes qui comprennent l’importance du groupe et de la solidarité que les décideurs sont nourris d’une idéologie égoïste ?

« 960 millions d’euros d’économies, c’est comme si on nous demandait de supprimer 15 000 emplois, et je ne crois pas qu’il y ait des emplois en trop à l’hôpital »

Le gouvernement macroniste en place a participé au démantèlement des services hospitaliers de France : «960 millions d’euros qui pèseront directement sur les établissements de santé en 2018. » (France Info, rapport d’Agnès Buzyn) La réaction de l’hôpital français n’avait pas tardé à s’indigner :  « 960 millions d’euros d’économies, c’est comme si on nous demandait de supprimer 15 000 emplois, et je ne crois pas qu’il y ait des emplois en trop à l’hôpital », expliquait à France 2 Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF).

En théorie, les responsables politiques voient rarement les effets de leurs politiques sur le terrain : ils ne les subissent pas et elles leur semblent lointaines. Dans un contexte d’épidémie, les macronistes ont vite vu que l’austérité excessive imposée aux services de santé publics pouvait coûter cher en terme de vies humaines, mais aussi qu’une mauvaise politique de protection civile pouvait conduire à leur éjection définitive du paysage politique et retourner l’opinion déjà massivement hostile à leurs décisions, en retournant contre eux leur propre électorat. Rappelez vous l’affaire du congé pour la mort d’un enfant. Il s’agissait de porter le congé actuel de 5 jours à 12 jours
.
L’épidémie concerne tout le monde, y compris les bourgeois favorisés. Mais le choix de sacrifier le public pour favoriser le privé a des limites, précisément en cas d’épidémie Le choix du Royaume-Uni d’offrir des soins uniquement aux gens riches révèle son absurdité en cas d’épidémie. Sacrifier les pauvres renvoie à mettre en danger la vie des plus riches. C’est la même logique qui est avancée pour le dérèglement climatique. On préfère favoriser le profit à court terme, même si cette industrie détruit la planète.

Quand les néolibéraux ont-ils réussi à faire entrer dans l’opinion l’idée que les services publics étaient coûteux, inutiles, risibles et devaient être à tout prix élminés?
Dans les années 80.
Il est devenu progressivement dans les médias mainstream hors de propos de parler d’intérêt général, de services publics. Seul les intérêts individuels comptaient. Ces mots : service public, Etat Providence, ont été présentés comme des signes de communisme et comme étant révolus. Depuis la chute du mur de Berlin la droite libérale devenait l’idéologie obligatoire, et si vous n’adhériez pas vous n’êtiez pas entré dans la modernité.

Les épidémies révèlent les inégalités sociales. Les minorités pouvant être délaissées. C’est ce qui s’est passé en Amérique du Nord pendant la grippe espagnole. Quand les enjeux de santé publique sont à l’ordre du jour, c’est le modèle de société qui est à l’épreuve. Si comme l’affirme Manuella Cadelli (2016)le néolibéralisme est un fascisme «  car l’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun. », on peut faire l’hypothèse qu’une épidémie pourrait remettre en question le choix idéologique européen.

Il peut paraître paradoxal que les mêmes services qui étaient considérés avant l’épidémie comme devant être détruits par les néolibéraux (santé ici) sont aujourd’hui considérés comme des  « services essentiels ». Pourquoi donc faire des coupes budgétaires à ces services ?.

Mondialisation , néolibéralisme et services publics.

Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : «  There is no alternative  ». Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression.

Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : «  There is no alternative  ». Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression. Le néolibéralisme est ainsi imposé aux populations, sans débat, comme la seule option accréditée.
Même la justice est fragilisée par une stratégie de sous-financement.
Le sous-financement de l’éducation conduit à la fragilisation de la cohésion sociale et le sous-financement des hôpitaux conduit à de potentielles catastrophes sanitaires comme ce sera peut-être le cas en Europe cette année.

Il est peut-être temps de réaliser que l’austérité budgétaire qui est une composante de l’idéologie néolibérale à la dégradation des conditions de vie des français et à la destruction de tout ce qui constitue le socle démocratique.

Les virus ont la fâcheuse tendance à s’attaquer à tous, y compris aux privilégiés

Emmanuel Macron a-t-il compris l’importance de l’état Providence ?

Emmanuel Macron a-t-il compris l’importance de l’état Providence ou est-il seulement en train de commencer sa campagne ?

« Nous sommes en guerre » aurait-on pu dire pendant la grippe espagnole aussi, avec une autre sens cette fois. D’ailleurs la guerre dans ce dernier cas a largement contribué avec le transport des troupes et aux concentrations d’hommes à sa diffusion.
Le président français le dit aujourd’hui pour mieux souligner la situation exceptionnelle qui est celle de la pandémie. En situation de guerre le néolibéralisme doit être mis de côté, sinon il révèlerait son vrai visage, sa cruauté, son égoïsme morbide.. Faire passer l’intérêt individuel, pendant une pandémie c’est être assez stupide pour dire que l’on se pense protégé parce qu’on est privilégié. On rit sous cape en repensant au message des danses macabres. Le roi du Portugal a peut-être été mis en contact avec le coronavirus, six députés français dont Jean Louis Reitzer,plusieurs députés iraniens dont Fatemeh Rahbar, une femme de 55 ans, des stars comme Tom Hanks et sa femme l’actrice et chanteuse Rita Wilson, l’écrivain chilien Luis Sepulveda.

La crise permettra-t-elle de remettre la finance à sa place, c’est à dire au service de l’économie réelle ? La crise mettra-t-elle en évidence l’importance des services publics ? Va-t-on face à la crise économique remettre en question le modèle néolibéral européen ?

Cette « doctrine qui a trop démontré ses limites et ses échecs, et qui selon Serge Audier « promeut la réduction drastique de l’État dans la vie économique et sociale, au bénéfice du secteur privé et des forces du marché, le tout sur fond d’une conception viscéralement individualiste », et on pourrait ajouter : tout en se servant de l’Etat comme pourvoyeur de fonds. Va-t-on enfin redécouvrir le lien social, la solidarité et comprendre qu’une société n’est pas une addition d’individualités mais plutôt un projet commun qui renforce l’interdépendance des hommes entre eux et qui refuse leur vulnérabilisation que suppose le contexte de leur mise en concurrence ?